Le lundi, avant, c’était réunion et deux Doliprane… Loin du silence d’aujourd’hui, on parlait de tout et de rien, et inversement proportionnel. Interrompus par les sonneries incessantes des portables (sait-on jamais qu’ils loupent LA vente importante…) et autres intermèdes aux formes d’un ballon ovale. Mais bon, nous communiquions quand même un peu…

Et puis un jour, entre le débat sur le bras de grue du camion qu’il faudrait changer et celui sur le rangement des tubes d’acier pour que cela prenne moins de place, une voix s’élève… Cette voix est celle de l’inquiétude, du questionnement, étranglée et tremblante… Tous les regards se tournent vers elle… Les regards de salariés, inquiets, interrogateurs et ceux de la Direction, furieux, noirs… Mais qu’à bien pu dire cette voix pour tout à coup obtenir le silence absolu, lourd et tremblant lui aussi ?

Elle a tout simplement tenté de communiquer… communiquer sur un sujet sérieux, légitime mais tabou : la perte de notre client principal et ses conséquences pour l’Entreprise Moderne. Parce qu’il faut bien reconnaître qu’apprendre à ranger les tuyaux tubes, c’est bien, mais ça fait pas avancer le schmilblick.

Regard fuyant, réponse fuyante… Silence. La prochaine réunion c’est quand ? OK, on mettra la question l’ordre du jour. Ah ?!? Trois semaines à attendre… Puis 4… 5, 6… « Bonnes vacances à tous, profitez bien du soleil et revenez en forme !! » (traduction : on oublie la question, on oublie la réunion et on en parle plus à la rentrée)

14… 14 semaines, sans réunion, sans explication, sans un mot… 14 semaines pour recevoir la nouvelle convocation ! Cette réunion au sommet nous l’avons eu… 14 semaines trop tard et 52 semaines plus tard, des décisions devaient être prises…

Première hémorragie… On voit passer des feuilles jaunes avec des cases à remplir, des recommandés (jaunes eux aussi), les portes du bureau de la Direction ne s’ouvrent que pour laisser entrer et sortir des employés livides. Mais toujours dans le silence …

Aucun communiqué de presse, aucune réunion de rédaction, pas d’édition spéciale… Aucune communication sur le sujet. Ou plutôt si… Le passage de l’avocat « juste pour dire bonjour » qui s’éternise jusque tard dans la soirée (juste pour dire bonsoir ?). Autres signes, les portes fermées et hermétiques comme le sourire de la Direction, le passage du comptable plus souvent que le 15 du mois, pas juste pour la TVA… Autant de raisons de chuchotements, de spéculations, de déductions, d’inquiétudes, de questions…

La communication interne s’est alors organisée toute seule mais certainement pas à bon escient et certainement pas justement… et au détriment de la sérénité. Et cette communication là s’appelle la rumeur !

Enchaînement… Economie de salaires, redistribution du travail (oui, parce qu’ils étaient peut être inutiles, mais il faut bien faire leur travail maintenant !) Après quelques rumeurs, quelques désillusions, après quelques crises internes et sans doute d’autres dans les chaumières, nous revoici tous sur le pied de guerre, mais… Oubliées les réunions, oubliés de toute communication.

Et puis le silence…

52 autres semaines plus tard… Drôle d’échéance, ça s’appelle un bilan, je crois… Je rentre du Salon des Télécoms, heureuse du résultat commercial, satisfaite de mon travail, requinquée par le prix reçu pour le meilleur pylône intégré, mais rien y fait, mon 6ème sens se remet en alerte… Heureuse d’être une sorcière, une fée une femme intuitive dans ces moments là 😉 Le ton du « comment ça va ? » au téléphone a changé et, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression qu’il faut répondre « mal ! ». La sensation d’être testée, que l’on me tend une perche.

Il y en a qui savent quelque chose… Je les entends souffler, râler, la tension est palpable … Petites phrases de séduction pour les amener à parler … démarrage au quart de tour, 0-100/kmh en moins de 10 secondes, première, deuxième, virage à 180°, turbo enclenché… les 16 soupapes éclatent en même temps…. Comment ça je ne sais pas ? Non, je ne sais pas… je viens de passer 4 jours avec la Direction au salon sans aucune communication sur le sujet… Bon, alors, je vais tout savoir, mais je dois promettre que je ne suis pas au courant. Attendons que la communication l’information vienne jusqu’à moi… Donc…

Licenciée… Non pardon, licenciés… 5 comme la dernière fois… chargés d’affaires (elles vont arriver comment les commandes ? grâce au site Internet 😉 ) magasinier (c’est sur, les tuyaux vont être moins bien rangés maintenant)… Et depuis ? Le silence… Aucune communication sur le sujet, aucune confirmation, aucune infirmation, pas plus de réconfort. Les bureaux se ferment à nouveaux, l’Entreprise Moderne a de nouveau hissé les couleurs jaunes des recommandés et des formulaires de l’Anpe, toujours dans le silence le plus total… pas un mot…

Sommes-nous les seuls à communiquer dans le silence ?

Non, vraisemblablement pas… Est-ce la bonne ou la mauvaise solution ? Toujours est-il qu’en plus du stress que cela instaure indéniablement, des questions que chacun se pose, il se propage un phénomène étrange : l’anticipation par démission de ceux qui deviennent chercheurs actifs d’un nouveau job…

Si je vous raconte cela ce matin, c’est parce qu’ils sont tous en entretien de licenciement aujourd’hui… C’est ma façon d’être un peu avec eux…