Jeudi 23 juillet 2009, Marseille est aux portes du feu depuis 12 heures. Douze heures… douze heures que le feu fait rage. En remontant vers la résidence, on découvre les jardins envahis par les longs serpents rouges sous pression des pompiers et les lumières bleues clignotantes. Le silence n’est pas revenu, au loin encore des sirènes, tout près les ordres criés de talkies en walkies, le bruit des moteurs, les murmures des uns et les exclamations de autres.

Il fait nuit rouge sur les collines de Marseille

Magique élan de solidarité, on croise des habitants avec sandwiches et boissons pour les pompiers. D’autres avec des valises partent pour un refuge plus calme loin de Marseille. Les masques surement achetés en prévision à la pandémie de grippe servent prématurément. D’autres encore remontent vers leur bien.

La vision de l’appartement couvert de cendres n’est rien à côté de celle de notre colline. Le feu a dépassé nos habitations et s’attaque aux suivantes. Il avance partout où il y a du vert, il a faim et rien ne lui résiste. On ne fermera l’œil qu’au petit matin, malgré la forte odeur de brûlé, les restes de fumée et la peur au ventre, quand il sera encore plus loin.

Et puis soudain c’est la panique, un bruit de moteur, là juste au dessus. Réveil en sursaut, le jour est revenu… un jour pas comme les autres, mais comme hier, sous le bruit des bombardiers. On sort en courant et là, vision cauchemardesque, apocalyptique, d’une colline si Pagnolesque encore hier. Tout est gris, noir et blanc… Tout est fumant, encore brûlant… Tout est braise ici et encore feu juste là et cela n’a pas échappé à l’œil aiguisé des canadairs. Sous les balcons, des voitures de pompiers, des lances déployées, de la tension, de la fatigue mais pas de découragement. Dans le ciel, un balai d’ailes et de pales. Très très près. Des largages d’eau à la goutte près.

Soudain des images de guerre vous traversent

Une guerre qui s’est rapprochée… C’est impressionnant le bruit d’un bombardier (d’eau) en approche. Vous ne le voyez pas, il arrive derrière l’immeuble. Un raté de moteur, deux, trois… un bruit qui raisonne entre deux immeubles… un bruit qui fait peur, qui vous fait rentrer la tête dans les épaules… l’impression qu’il va s’abîmer dans la colline, pire sur l’immeuble. Jusqu’à ce que vous voyez le bout de son nez jaune à hauteur des balcons, entre votre balcon et la colline ! Dans une maîtrise totale.

Il arrose au plus près et redresse (mais redresse bon sang ! ouf !). Déjà le deuxième est en approche… Le même tir, à la précision du centimètre près. Le temps d’aller refaire le plein au dessus des baigneurs insouciants, l’hélicoptère prend le relais, sirène hurlante, de ces sirènes à l’américaine qui amplifient la peur et vous donnent la chair de poule. Un balai qui durera toute la journée. Pas un moment de silence, ou si court. Chaque fois on espère que c’est le dernier passage, chaque fois ils reviennent pour une fumée, une étincelle. Et ce vent qui n’en finit pas… Le feu ne doit pas repartir alors on mouille le vert en lisière toute la journée.

Un autre balai, humain cette fois, fait de solidarité, d’entraide et de civisme au milieu de la peur. Un voisin prévient, une fumée entre deux pins… Les pompiers montent à la colline, d’autres viennent emprunter notre terrasse comme tour de guet. Ça semble rien, mais comme on dit il n’y a pas de fumée sans feu….

L’information publique relate les faits du soir, la panique, les évacuations. On se rend compte qu’il n’y a pas que nous, que l’exode s’est faite sur des kilomètres de la Barrasse à la Panouse. On y sent la peur des uns, la détresse des autres et la colère de tous face à l’inconscience humaine. Cette information relativise la situation du moment, mais rappelle sans cesse que maîtrisé n’est pas éteint. L’information privée, elle, passe par le téléphone, les mails, Twitter. On rassure ceux qui n’ont pas dormi de la nuit, on apprécie les appels de soutien, on informe ceux qui sont loin.

Au milieu de ce vacarme, vient la désolation, le vide, vision de cauchemar.

Ce spectacle cauchemardesque de notre colline dévastée, là sous nos fenêtres. Il ne reste plus rien. Que des troncs d’arbres calcinés, des cailloux noircis, et au milieu, le graffiti de notre fameuse ruine a tenu et nous fait sourire. Plus de buissons, plus de cigales, plus d’écureuils, plus de pies, que des lances à incendie, des hommes en uniforme, des volutes de fumées et quelques petites flammes… Ça file le cafard, ça arrache une larme, ça fout en colère !!

Alors chacun tire les rideaux ou ferme les volets. Et on attaque. On traque cette cendre entrée par le moindre trou et par cette fenêtre laissée ouverte dans la panique. On aspire le sol, mais aussi les meubles, les rideaux, les murs (le chien n’a pas voulu se laisser faire…). Dans le moindre interstice elle s’est immiscée. On se désespère parfois de la voir là où on ne l’attend pas, ou de la revoir là où on ne la croyait plus quelques minutes avant.

La nuit tombe enfin. On a eu de cesse que de se mettre à la fenêtre pour guetter. On est un peu rassurés quand les canadairs s’éloignent, on s’angoisse quand on voit les Tracker prendre le relais avec leur poudre rouge, on panique quand on voit une dizaine de voitures de pompiers envahir soudain la résidence, prendre leur quartier de nuit sous vos fenêtres, bien rangées. En alerte comme nous tous.

Ce soir, le feu fait les gros titres du journal de 20h… 1300 hectares… mais c’est moins qu’en Corse au même instant, 3500 hectares… ou qu’en Catalogne où 9000 hectares brûlés ont aussi fait des victimes… Des incendies causés par la négligence humaine, par des criminels…

Aujourd’hui le calme est revenu et pourtant… à chaque bruit d’avion on frissonne, quand il s’attarde au dessus, quand il fait des ronds dans le ciel, comme tous les autres résidents, on se rapproche de la terrasse et on scrute dans l’inquiétude, l’angoisse que cela ne recommence… se rappelant à chaque moment l’horreur de ces 24 heures… Il reste en nous tous, en plus de ce spectacle de désolation, de cette colère, de cette tristesse, un je ne sais quoi d’un après guerre… quand les gens rentrent la tête dans les épaules au passage d’un avion…

Un grand merci à tous ces hommes de terre et d’air qui mettent leur vie en danger pour éteindre, sauver, sauvegarder, protéger, rassurer, aider…