Ce jeudi 7 juillet 2011, la terre a tremblé sous nos fesses (pour ceux qui étaient assis). Onde de choc partie à 21:21 non loin de la Corse, arrivée à 21:23 sous le canapé du salon… De St Tropez à Marseille, nous sommes quelques uns à avoir entendu les murs craquer. Ça a duré quelques secondes, un tremblement de magnitude 5.2 qui allait crescendo, que chacun a ressenti à sa façon, modérément ou intensément.

Du haut de ma tour de contrôle, j’avoue que ce fût impressionnant. 14 étages de béton à cheval sur la colline qui craquent et qui bougent. Juste le temps de penser que, soit nous descendions vite vite vite et nous prenions 14 étages sur la tête, soit nous restions là et nous chutions de 14 étages… Le choix qui tue… Et puis cela s’est arrêté comme c’est venu… Marseille a tremblé puis Dame Nature était partie se (re)coucher.

Cet évènement m’a alors ramenée deux années en arrière, le jour où notre colline fût ravagée par le feu. Pourquoi aujourd’hui ? Parce que si l’on ne peut éviter les tremblements de terre, c’est une autre histoire pour les incendies… Vous qui me lisez, pensez qu’une cigarette, un barbecue, aussi agréables soient-ils (et pas que pour vos poumons ou votre cholestérol) sont de véritables dangers.

Mercredi 22 juillet 2009. La journée fut longue….

Tout commence avec ce vent qui se lève en rafales impressionnantes, avec le bruit de fenêtres, pas loin, qui cèdent sous la pression. Vent chaud et chargé de sable, sans doute le Sirocco a traversé la Méditerranée dans la nuit.

Ensuite, le bruit des bombardiers, angoissant. Ils passent près, tout près. Parfois on craint qu’ils ne s’écrasent tant ils prennent des risques. Ils tournent, ciblent et bombardent à une cadence douce, et puis soudain, tout se précipite, vite, plus vite… Une boule monte dans la gorge à chaque passage. Conscients du danger, on a peur pour eux, pour nous.

Non, je ne vous écris pas ce billet d’un pays en guerre…

Marseille où le feu fait rage et ravages…

14h… premiers échos des moteurs. Loin au début, puis plus près. On se croirait en état de guerre et on imagine sans peine l’angoisse de ceux qui l’ont vécu. On rentre la tête dans les épaules, on écoute les dératés des moteurs et puis soudain c’est juste au dessus de notre tête, on peut presque voir la couleur des yeux du pilote sous ses lunettes, on se prend quelques gouttes au passage.

Tout doucement, insidieusement, on commence à se frotter les yeux, à tousser. Mais on ne s’inquiète pas, jusqu’à ce que cette odeur de brûlé devienne insoutenable, jusqu’à ce que le chien collé à nos semelles éternue sans cesse (ce chien qui tente de communiquer avec nous, il ne nous lâche plus, vous regarde droit dans les yeux au moindre mouvement), jusqu’à ce que nos doigts sur le clavier laissent des traces dans la poussière blanche…

Là on se met à la fenêtre… C’est flou, on sort sur la terrasse, et là, spectacle effarant, Marseille est plongée dans une épaisse fumée grise, on peut presque la toucher à bout de bras, la luminosité est celle bien connue des feux importants, orangé sous le gris.

On appelle les copines, les voisines, on allume la radio, la TV, on branche le web. Les unes vous disent qu’il n’y a pas de soucis, que leur mari a entendu que c’était maîtrisé, les autres sont paniquées, déjà 15 maisons brûlées. Sur le Web, à la radio, à la TV… rien d’alarmant, le feu est à 15 kms des habitations. On suit minute par minute… à chacun sa communication, son information…

Alors comme on est sur Twitter, on tweet, une foisdeux fois, et on suit le fil… spameuse d’un instant tragique. Et là Twitter se réveille. L’information arrive plus vite que partout ailleurs : un put** de troufion a tiré une balle traçante, la douille bouillante a embrasé la garrigue. C’est juste là, derrière notre colline, à Carpiagne. Beaucoup plus inquiétant.

Ça rappelle des souvenirs à quelques uns, ça détruit les terrains de jeux d’autres, ça inquiète ceux qui ont de la famille ici. Le relai se fait, par tweet, par DM (direct message), par mail, par téléphone, par images, par liens, avec humour parfois…

Le feu est aux portes de Marseille…

Il est 20h. Journal de TF1. Rien dans les titres, 30 secondes en milieu de journal. Pas d’inquiétude, le feu est « aux portes de Marseille » (sur toutes les chaines la même expression), mais quelques centaines de pompiers venus de toutes les Bouches du Rhône le contiennent. Le feu est toujours à 15 kms des habitations (ah ?) La TNT saute, plus de signal.

La fumée s’épaissit, les cendres ne sont plus comme du sable blanc léger, mais couleur copeaux de bois brulé. C’est alors que le silence se fait… plus de bruit de moteur, cruel rappel que nos chers canadairs ne peuvent pas travailler la nuit, la visibilité rendant l’écopage dangereux. La nuit tombe, mais elle n’est pas noire, elle est orange incandescent. Juste là, derrière la colline, le halo est plus intense.

Suivi des fils d’information ici et ailleurs. Rien. Les feux seraient pratiquement maîtrisés, loin des habitations et les moyens sont déployés. Maîtrisés n’est pas éteints. Sur un autre fil, des tweets de soutien, une discussion à bâtons rompus par DM, une autre sur MSN, et toujours en lien direct avec l’extérieur virtuel sur Twitter et quelques escapades sur la terrasse pour voir.

Il est minuit. La lueur rouge grandit, s’étend, rougit. Le silence est interrompu par les explosions terrifiantes des pins. La fumée brûle les poumons maintenant, la toux ne soulage plus. Les yeux brûlent et pleurent tout seuls.

Il est 00h05… Le temps de revenir sur MSN, d’expliquer la situation, et soudain du bruit dans les couloirs, on court, on crie, on klaxonne (pas dans les couloirs, dans la rue), on hurle. On coupe la connexion, on relaie avec l’(insu)portable qu’on cherche partout (mais qui l’a mis sur le congélateur ?). Le temps d’enfiler un T-shirt, un jeans, des chaussures (pas pour son image mais pour être décent).

Le feu est aux fenêtres de la résidence…

Il est 00h10 et les flammes sont visibles, là sous nos fenêtres.

Des flammes qui ne lèchent plus la garrigue mais la dévorent faisant des bonds de plusieurs mètres emportées par le vent. Des flammes, là, juste sous nos fenêtres en moins de trois minutes ! On ferme toutes les fenêtres (sauf une oubliée qui laissera tout entrer…). On attrape ses clés (enfin quelque chose à sa place). On marche sur le chien, on le prend sous le bras, on ouvre la porte, on se retourne… on ferme la porte la peur au ventre… Il est 00h15

La chaleur du couloir est saisissante, brûlante… La fumée est épaisse. Les voisins sortent, eux ne voient pas la colline mais la ville, le spectacle aussi inquiétant de ce côté, des gyrophares partout. Juste trois mots « on évacue !! vite !! ». On appelle l’ascenseur, fumée en apesanteur, on se demande comment c’est en bas… On regarde dehors, encore des mètres de gagner ici, et là, et là bas, à droite, à gauche, devant, derrière… On regarde les marches et on descend, vite, très vite (c’est très facile, plus facile que de monter). On croise du monde (avec des valises, en pyjama, avec des poucettes…) on aide aussi… Mais en silence…

Plus un mot, juste des regards, des pleurs, la peur… Plus on descend, plus il fait chaud… Aller au garage ou partir à pied ? Certains ont tout prévu en soirée et ont garé la voiture en contre bas, prête à partir. Pour les autres, on choisit tous la voiture, parce que la porte automatique est déjà ouverte et bloquée, sinon, on serait descendu à pied… C’est une vraie fournaise, le garage est a flanc de colline, les flammes à 3 mètres tout au plus, gigantesques. On se dit qu’on va rester coincés. On se regarde et on fonce, chacun à son box, juste au dessus de nos têtes des explosions de pommes de pin qui font sursauter.

On ne trouve pas la clé, elle ne rentre pas, la poignée est coincée, une fois, deux fois… Coup de pied de rage, ça n’ouvre pas la porte mais ça aide. Une fois dans la voiture, on s’attache. Pourquoi ? peut être en pensant qu’il faudra passer par les jardins (en pente) peut être grâce à notre instinct de survie…

Et on fuit sans regarder derrière soi.

On suit le flot des voitures, on prend au passage un résident piéton, et on fonce. Merde ! on a oublié tous les papiers ! Juste des clés et un téléphone… D’autres y ont pensé, au cas où il faille les identifier… frissons… Plus on avance mieux on respire. Respirer ? Merde ! la Ventoline… un comble…. Nous voilà tous sur un parking, au milieu des sirènes, des ambulances, des pompiers, des CRS, par dizaines. Ça prend aux tripes, ça décrochent quelques hystéries et quelques larmes.

On s’organise. Eau, mouchoirs, masques. On se soutient. Cette petite fille inquiète d’avoir laissé son chat. Cette maman de ne pas savoir où sont ses enfants. On reprend ses esprits. On appelle pour rassurer (on se croirait un soir de St Sylvestre, l’opérateur sature) alors on se connecte sur Twitter (ça passe !) pour découvrir que les liens ont pris le relai. Soutenir ceux qui s’inquiètent, rassurer les autres. On est spectateur du vrai lien twitterrien. Soutenus et dorlotés, en liaison constante grâce à Twitter, même si on ne prend pas le temps de répondre.

Il est 2h30 du mat. On est gris de suie, on a des yeux de lapins russes, on est retourné… et on rentre pour découvrir l’horreur…